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Les tensions entre Israël et le Hezbollah libanais, déjà fortes depuis le début de la guerre à Gaza en octobre 2023, se sont brutalement accentuées ces derniers jours. Le mouvement chiite a lancé, dimanche 25 août, une attaque aérienne d’envergure de « plus de 320 » roquettes qui aurait, selon le Hezbollah, « visé et endommagé » onze sites militaires dans le nord d’Israël et sur le plateau du Golan occupé. ll s’agissait de « la première phase » de son plan pour venger la mort de Fouad Chokr, un de ses hauts chefs militaires, tué dans une frappe israélienne sur Beyrouth le 30 juillet. Quelques heures avant ces attaques aériennes, l’armée israélienne a affirmé avoir mené des « frappes préventives » au Liban après avoir repéré des signes de préparation du Hezbollah. Ces nouvelles tensions font craindre à certains observateurs une escalade régionale.
Retour sur les dates-clés du conflit Israël-Hezbollah, pour mieux comprendre ce qui oppose l’Etat hébreu et la milice des chiites prolibanais.
L’histoire du Hezbollah (« Parti de Dieu ») est intimement liée à la résistance armée contre Israël. Le mouvement islamiste chiite est créé en juin 1982 en réaction à l’opération « Paix en Galilée », lors de laquelle l’Etat hébreu envahit le Liban pour tenter d’éradiquer les militants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui y avaient trouvé refuge depuis les années 1960. Soutenu par le régime iranien de l’ayatollah Khomeini, qu’il prend pour modèle, le Hezbollah proclame dans sa charte fondatrice : « Notre lutte ne prendra fin que lorsque cette entité, Israël, sera éliminée. » Avant même la création du mouvement, plusieurs de ses fondateurs étaient déjà engagés dans la lutte contre l’interventionnisme israélien au Liban.
Malgré le départ du commandement de l’OLP du Liban vers la Tunisie à la fin de l’été 1982, l’armée israélienne décide, pour garantir sa sécurité, de rester sur place et d’occuper une grande partie du sud du pays – frontalier avec son territoire –, ainsi que la capitale Beyrouth. Le Hezbollah devient alors son principal adversaire. « Jusqu’alors, l’interventionnisme israélien au Liban se concentrait sur les Palestiniens présents sur ce territoire, explique May Maalouf, chercheuse et politologue en géopolitique spécialiste des conflits du Moyen-Orient. Après le départ de l’OLP, on est clairement entré dans une guerre Hezbollah-Israël. »
Les affrontements se multiplient dans le sud du Liban à partir de 1985, date à laquelle la création du Hezbollah est annoncée officiellement. Hassan Nasrallah, qui prend la tête de la milice après l’assassinat d’Abbas Moussaoui par Israël (1992), convertit ses troupes à la guérilla, en visant des soldats israéliens ou leurs supplétifs de l’Armée du Liban sud (ALS), une milice pro-israélienne composée de chiites et de chrétiens libanais. Israël riposte avec des offensives meurtrières, comme les opérations « Responsabilité » (1993) et « Raisins de la colère » (1996), qui tuent des centaines de Libanais et causent le déplacement de plus de 500 000 civils dans le pays.
Le 25 mai 2000, après une vingtaine d’années d’occupation, Israël se retire du Sud-Liban. « Les revendications de la société israélienne pour le retrait étaient très fortes et les nombreuses défaites sur le plan humain et militaire ont favorisé ce choix », explique May Maalouf.
Par ce retrait, Israël acte l’échec de son intervention au Liban et offre une consécration au Hezbollah. Hassan Nasrallah qualifie « ce jour de victoire historique, le premier depuis le début du conflit israélo-arabe il y a plus de cinquante ans ». Il pronostique que « l’ère des défaites des Arabes est terminée et [que] commence pour eux l’ère des victoires, alors que pour les sionistes l’ère des victoires factices est finie et commence celle des défaites ».
La période suivant le retrait est globalement plus apaisée, malgré des attaques isolées et des incursions ponctuelles sur le territoire israélien. La milice confirme son entrée dans le jeu politique libanais en rejoignant pour la première fois le gouvernement en 2005. Elle refuse toutefois de renoncer à la lutte armée contre Israël, prétextant que les fermes de Cheeba, un territoire de 25 km2 adjacent au plateau du Golan et normalement sous contrôle syrien, sont toujours sous occupation.
En juillet 2006, les tensions entre Israël et Hezbollah s’accentuent à nouveau. La milice libanaise s’introduit sur le territoire de l’Etat hébreu et enlève deux soldats israéliens. Le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, justifiera son offensive par la volonté d’avoir une monnaie d’échange en vue d’une libération de prisonniers.
L’Etat hébreu riposte immédiatement avec des frappes aériennes, un blocus aérien et naval et une invasion terrestre du Sud-Liban. En seulement trente-trois jours, les combats causent la mort de 1 200 personnes au Liban, en majorité civils, et le déplacement d’un million de personnes. Côté israélien, le bilan s’élève à 165 morts, principalement militaires, 500 000 déplacés. Jamais le tribut humain n’a été aussi lourd des deux côtés en si peu de temps.
Selon May Maalouf, « on était dans une logique d’attaque pour l’attaque : les deux camps voulaient montrer en interne qu’ils étaient encore présents et forts. On était moins dans des stratégies politico-frontalières, comme avant. Le Hezbollah cherchait à garder une visibilité qu’il avait commencé à perdre depuis 2000. Israël voulait démontrer sa capacité à protéger ses frontières en envahissant le sud du Liban. »
En 2011, une guerre civile éclate en Syrie entre l’armée du pouvoir en place et les groupes d’opposition au régime du président Bachar Al-Assad. Dans ce conflit interne, le Hezbollah se range derrière le pouvoir syrien et qualifie la révolution de « conspiration pour détruire l’alliance avec Assad contre Israël ». En prenant le contrôle de plusieurs villages syriens et en combattant aux côtés de l’armée syrienne dès le départ, le Hezbollah prend clairement part au conflit. « Cela a fait partie du changement du positionnement stratégique du Hezbollah dans la région, estime May Maalouf. C’était l’une des premières interventions effective sur le terrain de la part du mouvement. A travers cette guerre en Syrie, Israël était un ennemi indirect. »
Hassan Nasrallah ne s’en cache d’ailleurs pas : en 2013, il affirme que le Hezbollah ne peut pas se permettre « que la Syrie tombe aux mains des Etats-Unis, d’Israël ou des groupes takfir [fondamentalistes sunnites] ». Après l’entrée du Hezbollah en Syrie, les groupes d’oppositions au régime Assad envoient des roquettes dans la région de Beyrouth et demandent aux combattants libanais de quitter leur territoire. Malgré une position officiellement neutre, Israël se mêle aussi de cette guerre civile, dès janvier 2013, en visant lors de raids aériens des zones où se trouve le Hezbollah.
Pendant plusieurs années, les confrontations directes entre le Hezbollah et Israël se limitent à des actes isolés. Jusqu’aux attaques du Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre 2023, qui tuent près de 1 200 personnes. En représailles de ces exactions, Israël bombarde dès le lendemain la bande de Gaza. En soutien au Hamas, le mouvement chiite libanais envoie ses premières roquettes sur les fermes de Chebaa, un territoire au sud du Liban annexé par Israël depuis 1967. Des tirs d’artilleries et des frappes de drones sont ensuite expédiés par l’armée israélienne sur des positions du Hezbollah sur le plateau du Golan, aussi occupé par Israël.
Selon un bilan établi par l’Agence France-Presse à partir de différentes sources, les violences depuis le 8 octobre 2023 entre l’armée israélienne et le Hezbollah ont fait au moins 605 morts au Liban, en majorité des combattants, et 49 morts en Israël, dont une moitié de soldats. 160 000 personnes ont aussi été déplacées des deux côtés de la frontière israélo-libanaise.
Si les combats se sont particulièrement intensifiés ces derniers mois, les menaces ont aussi fusé entre les deux camps. En juin 2024, le chef adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Qassem, affirme que toute expansion du conflit au Liban provoquerait « la dévastation, la destruction et le déplacement [de population] » en Israël. De son côté, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a promis de transformer Beyrouth « en Gaza » en cas de guerre totale avec le Liban.
L’actuelle escalade rend-elle ce scénario vraisemblable ? Pour May Maalouf, interrogée début août 2024, cette option ne semble pas envisageable « dans l’immédiat ». Elle estime que « personne n’a intérêt à ce que cela arrive. Ni le Hezbollah, car il s’affaiblirait, ni Israël déjà en difficulté sur le plan international et ni l’Iran qui ne pourrait pas combattre un allié des Etats-Unis ». Selon une source occidentale interrogée par le Monde après les attaques mutuelles du Hezbollah et d’Israël dimanche 25 août, « la conclusion de cet épisode, c’est d’abord la confirmation qu’aucune des parties ne souhaite commencer une guerre totale ou, au minimum, porter la responsabilité de son déclenchement ».
Une aggravation des tensions entre les deux parties n’est cependant pas à exclure. Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale du président américain, Joe Biden, a formulé un vœu d’apaisement dans ce conflit : « Notre espoir est que les événements de la nuit dernière ne se transforment pas en escalade qui puisse mener à une guerre régionale. »
Mise à jour du 26 août à 17 heures : cet article, initialement publié le 3 août, a été réactualisé après les frappes aériennes du 25 août.
Adel Miliani
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